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SERIE : LES ERREURS A NE PAS FAIRE QUAND ON EST ARRANGEUR/REALISATEUR

Dernière mise à jour : 2 juin 2021



ERREUR 5


Aller au bout quand c'est mal parti




Tout le monde connaît l’excitation du premier moment où le morceau sort de ses doigts, et quand tout s’assemble dans le cerveau. On est sûr qu’on tient le bon bout. Ça marche.


Et puis on laisse reposer un peu, on va faire une course, manger un bout, et on revient écouter ce qu’on a fait.


Car on a commencé à enregistrer dans son logiciel favori, ou sur son téléphone portable, les premiers prémisses de ce tube magique, avec cette mélodie envoûtante et imparable.


Sauf que...


A la réécoute, c’est moins magique, envoûtant et imparable que ce que l’on croyait il y a quelques heures.

Le soufflé est un peu tombé.


Mais la nature humaine a horreur de travailler pour rien.


Et, insidieusement, se met en marche, un mécanisme commun à tout Homo sapiens musicalis, à l’intérieur de notre cerveau, j’ai nommé la glande des excuses foireuses...




D’abord, on relativise.

« Non, c’est bien. J’étais sûr du truc tout à l’heure, je l’ai trop écouté en boucle, je m’habitue, mais ça reste magique ».

Ensuite on réfléchit aux petites faiblesses ça et là.

« Bon. Va falloir revoir la fin du couplet, et le petit bout du refrain là, et c’est bon ».

Ensuite votre compagne passe par là et donne son avis. Ou n’a aucune réaction.


Et on explique :

« Non mais c’est parce que ça n’est pas encore arrangé. Il manque les violons là, et les chœurs dans le refrain, et puis je fais refaire la guitare proprement, tu vas voir ».


Et on oublie la règle no 1 de l’arrangeur : sur une chanson écoutée par un auditeur lambda non éduqué musicalement (99% des gens), l’influence de l’arrangement est voisine de zéro.



Ensuite, dans un éclair de lucidité relative et passagère, on peut être tenté de revoir la suite d’accords, ou le groove de la chanson, pour optimiser.

Et réfléchir à des tas d’idées nouvelles pour faire exploser le titre. Orchestration différente, changer l’instrument principal, changer un peu le tempo, changer un ou 2 mots du texte si vous l’avez déjà, etc.

Mais curieusement, à ce stade, jamais ne se pose la question de la qualité de la mélodie. Ce qui est l'organe principal de la chanson.

Alors on se met au travail. Et on passe des heures, voire des jours, à peaufiner l'arrangement. Ré-orchestrer, changer de son, revoir le mixage. On refait une intro, on refait une fin. On re-mixe et on arrive au produit fini. Fatigué mais content que ce soit fini.


Et on a une chanson.


Avec un texte, une mélodie. Tout se tient.


Mais le problème, c'est qu'une merde, même emballée dans du papier cadeau, reste une merde.

Le public en général, peu sensible au papier cadeau, sentira comme une drôle d'odeur dans ses écouteurs.

Façon de parler.



Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Ben on a foncé tête baissée dans le piège qui consiste à penser, inconsciemment ou pas, que tout le travail que j'ai fait, quand même, serait perdu si je n'allais pas jusqu'au bout.

J'aurai travaillé pour rien.

Et ça, c'est inacceptable.

C'est un peu comme avancer dans une ruelle étroite qui se rétrécit, avec son 4x4 et aller au bout, quitte à rayer les ailes, pour ne pas faire demi-tour.

Ou reprendre encore du couscous, après la choucroute et le gratin dauphinois du buffet de l'hotel, parce que quand même, on va pas laisser ça, faut finir, quitte à vomir ensuite.


Sauf que dans ce cas là, c'est l'auditeur qui vomit, plus tard.



Il y a pourtant des signes que l'on pourrait déceler, qui peuvent nous alerter sur le piège.


Le fait de ne plus ressentir l'excitation aussi rapidement, et se lasser finalement assez vite est peut être un indice à écouter.

Le fait de commencer à vouloir modifier exagérément certaines parties principales, comme le couplet, ou le refrain, est un signe "qu'il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark" (pour citer Shakespeare).



L'absence de réaction d'un proche pendant l'écoute de l'élaboration de la pièce, s'il n'est pas coutumier du fait, peut être aussi une alerte à prendre en compte.

J'ai déjà dit dans un post précédent, que le doute, s'il perdure à long terme, est un poison pour la création.

Mais le doute immédiat, la pause réflexion, peut être (par contre) un bon moyen de réévaluer ce que l'on vient de pondre.

Mais la clé, pour moi, pour atténuer le danger, est de s'y prendre autrement dans la manière de créer une chanson.


Explication :


Que ce soit pour un texte, aussi bien qu'une composition, on démarre toujours par un bout de mélodie, ou une punch line, relativement courte, qui nous excite assez pour sentir que l'on peut développer.

Mais si le développement est ardu, et que rien ne vient de spontané, en tout cas, rien de facile à imaginer, c'est peut être que l'inspiration créatrice du moment vient de s'envoler.

Il ne faut pas hésiter, à ce moment là, à faire une pause, et mettre son idée de coté. La laisser mijoter, quelques jours, voire plus, et passer à autre chose qui peut nous redonner du plaisir immédiat.


Faire en fait, ce que font nombre d'artistes renommés, en remplissant des carnets de notes, ou des extraits de mélodies dans des dictaphones ou smartphones, ou sur n'importe quel support rapide pour capter l'instant de grâce.


Laisser mijoter.

Jusqu'à être sûr d'avoir une idée limpide pour la construction à venir.


D'expérience, les constructions difficiles, dévoreuses d'énergie et de frustration, sont rarement des chefs d'oeuvres in fine, sauf cas exceptionnels.


On peut s'inspirer d'ailleurs de la méthode utilisée par certaines stars internationales pour la fabrication industrielle de leur chansons.


2 ou 3 gars pour faire le beat, 2 ou 3 autres pour des mélodies, 2 ou 3 autres pour les climats d'arrangements, 2 ou 3 autres encore pour des punch line de texte, et à la fin, le producteur fait son marché. Il colle les parties qui vont bien ensemble, selon son goût. S'il a bon goût, c'est un tube, s'il a un goût de chiottes, il est viré.


Pour transposer ça de manière artisanale, il suffit de désacraliser l'intégrité de la structure d'une pièce, et de penser qu'il est tout à fait possible de recycler le couplet d'une chanson avec le refrain d'une autre.


Ca peut être fait avec la mélodie, mais aussi le groove, l'ambiance, l'arrangement et aussi le texte.


Ca revient en fait, à se créer son réservoir d'idées, en amont de la création finale, pour y puiser les bon éléments.


L'avantage étant bien sûr, de limiter le risque d'avoir des passages faibles dans la chanson, des mots rentrés au forceps sur une mélodie, des ponts inutiles ou imbuvables, des finals flous, etc.


On peut ne pas aimer les tubes pop standard du moment, mais force et de reconnaitre que leur efficacité est à toute épreuve, quelle que soit la partie que l'on écoute.


Ecoutez "Roar" de Katy Perry ou "See you again" de Wiz Khalifa, par exemple, toutes les mélodies de toutes les parties sont béton. Pas de passage flou.








Relisez l'article de Bryan Adams sur la création du single "Everything I do" torché en 45mn au studio et à

sa manière de travailler avec Mutt Lange. C'est édifiant.







Ne nous y trompons pas.

Cette méthode de désacralisation de la chanson, autant que celle qui consiste à tout construire d'une traite en tenant le fil de son inspiration, ne nous met pas à l'abri de produire une grosse bouse malodorante, qui finira 1ère au top secret.


Ce n'est pas le propos.


C'est plutôt en terme de plaisir renouvelé qu'il faut voir la chose.

Vouloir aller jusqu'au bout, alors que c'est mal parti, donne du fil à retordre, prend du temps, encourage la frustration et ne donne jamais une assurance de résultat.


C'est dommage.

On a assez d'épreuves en dehors de la musique, pour devoir s'imposer ça, plus que de raison, au moment de la création.


La création dans la souffrance, qui est la méthode pour certains artistes, c'est un peu comme la constipation. Ca va mieux une fois sorti.


Mais le public, fort heureusement, n'a pas accès au déroulement du processus. Il ne voit que le résultat final. Il ne peut pas savoir si vous avez dû forcer ou pas pour pondre la chanson.

Et il s'en fout un peu globalement.


Raison de plus pour ne pas se mettre des bâtons dans les roues, voire ailleurs, en s'imposant une méthode de travail qui consisterait à commencer et finir quelque chose d'une traite, quitte à se perdre, juste pour ne pas admettre qu'on a fait fausse route.



Alors, on efface, on met de côté, et on recommence.


Tout le temps.

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