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Questions/réponses : L'accès au réseau subventionné

Dernière mise à jour : 16 nov. 2021




Dans la série questions/réponses, voici une question qui revient fréquemment sur le blog, de la part des musiciens pros en souffrance de concerts. On se demande souvent comment faire pour intégrer les réseaux des Smac et Mjc et théâtres subventionnés afin de pouvoir organiser des tournées décentes en étant payé correctement et devenir intermittent du spectacle.

Vaste question !

Il faut d'abord faire un historique et état des lieux du paysage actuel en débouché musique. jusqu'aux années 80 (1980 je précise), le ministère de la culture, donc l'état, donc nous, et nos impôts, subventionnaient les arts "nobles", c'est-à-dire le classique, le lyrique, l'opéra, la danse et le théâtre. En gros. Le seul moyen de faire des concerts, autres que de la musique classique, c'était de jouer dans des bars, des clubs, des mariages et des fêtes de village, ou d'avoir un producteur privé pour louer des salles, etc. donc une économie rétribuée par les tickets vendus uniquement, ou le mécénat. Il y avait bien les MJC qui se donnaient du mal pour accueillir du rock, mais dans des salles plutôt adaptées au macramé, au yoga, et au violoncelliste solo chantant du Lénine...

Je caricature à peine...

Puis avec le changement de politique, quelques élus inspirés ou opportunistes ont décidé de faire une petite place à ce qu'ils ont appelé "la musique actuelle". Actuelle uniquement du fait qu'ils ne l'avaient jamais considérée avant. Car dans "actuelle", qui comprend la variété, pop, rock, on trouve aussi du jazz, de la musique du monde, comme si le monde avait commencé dans les années 80.

Ne boudons pas la chose, à partir de là se sont ouvertes des salles de musique actuelle, les SMAC, équipées pour recevoir du public et du son dans des conditions correctes, voire confortables. L'état y est pour un peu, les communes et les communautés de communes pour beaucoup. Ils ont ajouté à ça, des locaux de répétitions municipaux et même parfois des studios d'enregistrement. Avec bien sûr, une idée éducative derrière. Proposer aux jeunes des endroits où se réunir, apprendre et consommer de la musique.

Parce que comme disait ma grand-mère : "Quand ils sont là, ils sont pas au café !"

J'ai dit plus haut une petite place pour la musique actuelle dans le budget du ministère de la culture. Parlons chiffres pour voir de quoi on parle exactement : Pour 2022 en gros un total de 4,083 Milliards d'euros. En hausse de 8,6% par rapport à l'année dernière, essentiellement pour sortir de la crise covid. Cool. Alors, j'ai regardé sur internet. Si on enlève : 1,019 Milliards pour le programme patrimoine (les parcs, les musées, les châteaux) 496,8 millions d'euros pour le fonctionnement du ministère de la culture (le personnel) 757,8 millions pour le programme transmission des savoirs (en gros les conservatoires de musique) 90,8 millions de soutien aux politiques culturelles (?) et digitalisation du ministère 250 millions pour la création cinématographique 199 millions pour le pass culture 483 millions (sur 2 ans) pour la presse 10 millions pour les festivals etc. Reste 908,9 millions pour le programme création. Qui comprend les créations de tout style de musique, danse ou théâtre.

A titre d'échelle, le fonctionnement du seul opéra de Paris est de 150 million d'euros. Avec la moitié remboursé par les tickets vendus, les années fastes. Le festival d'Avignon prend 12,6 millions de subventions, soit 58% de son budget. Si on ajoute tous les lieux originellement subventionnés depuis que le ministère de la culture existe, on voit que la portion dédiée aux musiques actuelles n'est pas corrélée avec le nombre de spectateurs ou d'acteurs la pratiquant.

Encore une fois, on ne va pas se plaindre, avant il n'y avait rien.

Mais, pour en revenir à la question d'origine, le problème n'est pas là. Il existe des dizaines de guichets d'aides à la création d'enregistrements ou de spectacles pour peu que l'on soit un champion pour défricher la paperasse. La Culture, mais aussi ADAMI SACEM SPEDIDAM, mairies, région, etc. Les plus malins arrivent à monter des projets sans se ruiner.

Mais voilà, tôt ou tard, quel que soit votre motivation et la qualité de votre projet, il faut passer devant une commission, qui va décider in fine de vous donner les pépètes...


Et comment cette commission décide ? Alors voilà l'axiome des décideurs : "La musique populaire peut vivre d'elle même avec son économie privée liée à l'industrie du disque et aux producteurs de concert. Elle n'a pas besoin de subventions. Ces dernières doivent aller aux projets plus ambitieux, moins populaires, traditionnellement moins accessibles au grand public sans un apprentissage, afin que puisse exister une diversité d'offre, pouvant éventuellement éduquer le peuple à l'art majeur, et susciter des vocations haut de gamme."

En gros.

Comme le résume le sociologue Philippe Teillet: « Le secteur travaille moins pour la diffusion des productions culturelles préférées des jeunes que pour un ensemble de productions artistiques conçues souvent par opposition aux goûts dominants des jeunes générations et, surtout, aux stratégies des grands groupes de l’industrie culturelle ».

Pour résumer, Oui pour l'adaptation d'Antigone en japonais (festival d'Avignon) et non au festival de country de Céreste ou de Gueret.

OK

Le raisonnement se tient. En tous cas c'était la règle avant les années 80. Mais à partir du moment où on a créé des scènes de musiques actuelles, censées s'ouvrir à la musique populaire, on aurait pu penser que la programmation serait plus représentative du goût du grand public. Ce qui se passe, c'est que l'on a multiplié les commissions qui décident, les programmateurs de chaque salle, sans changer l'esprit de sélection. C'est-à-dire que dans la musique actuelle, seront programmés et aidés, des projets plus originaux, plus barrés, plus élitistes, moins populaires, plus engagés (à gauche bien sûr) toujours avec le souci de montrer une certaine diversité aux abonnés de la saison. Bien sûr, de temps en temps, on a droit à une vedette connue, de variété ou d'humour, afin de remplir un peu les caisses et tenir jusqu'à la prochaine subvention. Et aussi un concours de chant, un tremplin rap ou rock pour stimuler les amateurs.

OK Alors, est-ce mal, est-ce bien ? C'est comme ça. En fait tout dépend de quel coté on se trouve. Il existe une relation incestueuse entre une certaine presse spécialisée, j'ai nommé les Inroks, Libé, Télérama et consorts, voire les pages culture de la presse quotidienne, et certaines salles ou festivals comme le printemps de Bourges, les Francofolies, et beaucoup de SMAC, qui partagent une idée commune de la culture utile portée par des créateurs sacralisés, censés représenter le beau pour un cercle restreint d'initiés, en opposition avec la variété de masse, option TIK TOK et TF1, censée remplir les salles et les réseaux de leur brouet convenu et débilisant.

Je caricature à peine.

Mais en gros, si t'as les premiers, la presse spé, tu as accès aux seconds, le circuit subv. Il faut avoir la carte.

La carte branché.


Carte qui sert aussi pour les victoires de la musique, les grands prix SACEM, et toutes sortes de distinctions diverses et variées. Il arrive bien sûr, que certains artistes extrêmement populaires, arrivent finalement, malgré l'amour du public de masse, à être invités et récompensés, car devenus tellement incontournables que ça deviendrait gênant de les occulter. On observe le même phénomène dans le cinéma. Demandez à Luc Besson ou Gérard Oury. Alors, si on a la carte, c'est assez confortable. On a la presse, on est invité, et on peut organiser des tournées de salle en salle, dans des programmes annuels, subventionnés, avec un public restreint, mais fidèle. Peu importe qu'il y ait 4 personnes dans la salle, dont 3 invités, on est payé pareil. Ca permet d'être intermittent du spectacle, une spécificité française, qui ajuste les fins de mois difficiles.

De l'autre côté, si t'as pas la carte, et que tu n'es pas produit par une équipe professionnelle, point de salut, en dehors des circuits traditionnels, bars, concerts autoproduits, fêtes de villages, concerts privés chez l'habitant, et concours et festivals amateurs. C'est la règle du jeu. Faut le savoir. Pas très loin de l'époque où tu étais musicien à la cour du roi, avec les avantages en conséquence, ou musicien de rue, au chapeau. Petite précision dans ce constat : Je ne dis pas que la musique branchée est mauvaise et que la musique populaire est fantastique. Les programmateurs de salle ou de radio n'ont pas les tympans en peau de saucisson. Il y a plus de vrais talents que d'imposteurs dans les chanteurs à carte, et plus de rêveurs que de vrais artistes dans la musique populaire. Mais les chances sont biaisées dès le début. Selon ton lieu géographique, ton style de musique, la teneur de tes textes, ton attitude, ton look et ton discours. Ce qui est troublant à l'observation, c'est que, avec l'envie grandissante de plus en plus de gens de vivre de leur passion, se développe un biais dans la création artistique. C'est-à-dire, que pour certains, l'envie irrésistible de faire partie du milieu pro et de vivre de ce travail, va déformer leur écriture au point de ne plus faire de la musique avec leur coeur et pour tous, mais de la musique pour ce genre de médias. Une espèce de flagornerie créatrice destinée à un petit parterre branchouille, en tout cas très assimilé urbain, afin d'exister dans ce monde.

Certains ont ça déjà en eux, et y arrivent sans efforts, par la musique, ou par l'attitude, la pose, qui est aussi importante, voire plus, que la musique. J'ai rien contre ça, dans la mesure où c'est déjà dans leur ADN. Je me fais plus de soucis pour la majorité silencieuse des autres, qui gâcheraient le plaisir d'écrire des chansons simples, avec des textes simples, qui pourraient intéresser beaucoup de gens, sous prétexte d'essayer de plaire à la minorité décideuse. Faire du Vincent Delerme quand on aime le disco, c'est pas facile... Alors c'est quoi la solution ? 1 D'abord savoir que cette fracture existe. Ca permet de ne pas rêver à des mirages subventionnés, quand on a pas le profil. Comme une fille qui fait 1m02 et pèse 102 kilos ne se présenterait pas au concours de miss France. Si tu fais de la chanson populaire, joyeuse et légère, même si tu te débrouilles à remplir des Zénith en province, tu n'auras pas la presse spécialisée. Evidemment, si tu remplis des Zénith, tu n'as un peu rien à faire à priori des théâtres subventionnés. Mais dans les faits, t'aimerais bien avoir la presse spé. Mais bien sûr, si tu cherches à intégrer un circuit subventionné, c'est que tu ne remplis pas de Zénith.

2 Essayer autant que possible de cultiver une originalité et une signature propre dans ses créations, quelque soit le style. Je le répète, tous les programmateurs de salle ne sont pas sourds et aveugles. Et sur un malentendu, ils peuvent programmer dans le créneau rock, des musiques qui n'en sont pas, sous réserve d'avoir la bonne attitude ou le bon look. Des tas d'artistes ont pu passer à travers comme ça. 3 Bien observer qui sont les gens qui ont la carte, pour voir si dans mon répertoire je pourrais faire partie de cette famille. Des gens ont pu bâtir une carrière entière, sans avoir la grâce d'un large public, mais en plaisant à la minorité décideuse. Je pense à Alain Bashung, au chanteur Christophe, à Dominic A, Jean-Louis Murat, Françoise Hardy, etc. et maintenant à Juliette Armanet, la grande Sophie, Clara Luciani, etc. 4 Se rappeler que actuellement, 95% du marché média est saturé par la mouvance rap/urbain. Selon le baromètre des métiers de la musique, que je vous invite à consulter. Le hip hop fait jeu égal avec la chanson française en production, explose en exposition médiatique, mais est loin derrière en programmation de concerts. On programme des concerts de chanson française dans les salles de province, mais pas dans les médias. Et il faut les médias pour être programmés dans les salles. Cherchez l'erreur. Sale temps pour le folk méditatif... ou la variété pop sucrée. Mais sale temps aussi pour faire des concerts de rap.

5 Évitez l’entre-deux. Il est tentant quand on fait une musique élitiste, de vouloir insérer dans le répertoire, un tube plus accessible au grand public, pour gagner en notoriété et en argent, de même qu’il est tentant pour un groupe de disco funk de vouloir faire un texte ambitieux afin de flirter avec la presse spécialisée. Vous perdrez probablement sur les 2 tableaux si c’est mal fait. Dans le 1er cas, groupe branché qui fait du populaire, vous serez traité de vendu par la presse spé, et toujours trop intello pour la presse people. Dans le 2ème cas, groupe populaire qui fait du texte, imposteur par la presse spé, et devenu trop intello pour le people. Mais le vrai résultat sera probablement une ignorance de la part de tous les bords. Et ça peut coûter cher. A l’ego aussi. Le nombre d'artistes géniaux qui n'ont pas trouvé leur public est énorme. Juste pour ne pas être dans la bonne case, ou être non classable selon les critères en cours. Parce que tout le monde marche par référence. Les médias mais aussi le public et nous-mêmes. Et c'est normal. Quand tu veux décrire quelque chose, tu l'associes d'abord à ce que tu connais.

Et si tu ne peux pas le décrire, tu ne peux pas le partager. 6 Se faire un réseau. C'est la clé. Tout est, et a toujours été, une histoire de réseau. Internet est un moyen plus rapide de se faire un réseau. Ca résoud pas tout, surtout que tout le monde se retrouve là, mais au moins, l'accès au public est plus direct. Le contrôle de son image aussi. Et les programmateurs de salle y sont aussi. Et croire que se faire un réseau ne coûte rien est une idiotie. Internet ou pas, il va falloir s'entourer, payer des services pour acceder au milieu pro. Comme dans tous les métiers. Parce que la musique est un métier. Mais tant que l'on ne gagne pas d'argent avec, c'est un hobby. Je vous invite, pour ceux qui ne l'ont pas vu, à regarder mon article sur comment se faire un réseau.


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