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Le Do Majeur symphonique: comment on fait ?



Alors !

Un scénario possible, bien que probablement assez rare.

Imaginez que vous vous appeliez Pineau.

Et vous postez sur Youtube votre nouvelle création faite avec un ensemble Virtual Symphonic Orchestra, genre de chez NATIVE ou EAST WEST ou GARRITAN ou l'excellent VISTA strings etc.


A des milliers de km de là, le compositeur John Williams cherche sur internet du vin français pour refaire sa cave, du pinot noir exactement, et fait une faute de frappe sur son clavier.

Il tombe sur votre morceau.

Mort de rire, il envoie ça à Disney en disant que c'est sa première ébauche pour le prochain Stars Wars, et qu'il confie l'arrangement à Pineau.


Oui, c'est son coté taquin et espiègle.






Et puis il s'étouffe provisoirement avec une cacahuète avant d'avoir pu expliquer que c'était une farce.



La personne au standard chez Disney, que l'on imagine sans humour, envoie vos coordonnées à la prod qui vous contacte pour enregistrer votre pièce à Abbey Road à Londres avec le London Symphonic.



Ils attendent les partitions.






Et là, paniqué, vous vous dites :




Comment on fait un accord de Do majeur avec un orchestre symphonique ?


Alors, intelligent, vous courrez sur internet voir la composition d'un orchestre symphonique.

Et vous retenez :


3 familles d'instruments




les cordes, les instruments à vent (bois et cuivres) et les percussions.

Facile.


Oui mais ça se complique.


Les cordes sont divisées en 5 pupitres :

1er violon, 2eme violon, alto, violoncelle, contrebasse.


Les instruments à vent c'est pire.


Pour les bois jusqu'à 8 pupitres :

flute piccolo, flute traversière, hautbois, cor anglais, clarinette, clarinette basse, basson, contrebasson



Pour les cuivres jusqu'à 5 pupitres :

trompette, cors d'harmonie, trombone, trombone basse, tuba



et je vous fait cadeau du saxophone (qui ne prendra sa place en orchestre qu'à partir de 1845)


WTF !


Si j'oublie les percussions, va quand même falloir écrire un accord avec 18 notes si je veux faire jouer tout le monde ! En utilisant bien sûr que do mi et sol, les notes de l'accord de do majeur.

Oui mais à quelle hauteur? Avec quelle puissance si je veux entendre tout le monde ?


Je reviens sur mon clavier midi et mon Do majeur à 3 notes et je me dis :


" ça va être chaud ! "


Alors je me replonge dans mes banques d'instruments virtuels et je vérifie chaque instrument.

Par bonheur, les concepteurs ont limité chaque instrument sur le clavier aux limites de leur tessiture. Pas de risque d'écrire une note de violon plus basse ou plus haute que ce qu'un vrai violon peut jouer. C'est limité. Mais ça fait quand même pas mal de do mi et sol à choisir.


Par exemple le violon court du G2 au C6, l'alto du C2 au C5, la clarinette du C2 au F#5,

le cor du C2 au G5

etc.



Comment jouer à la bonne hauteur ?


Mais le problème ne s'arrête pas là.


Comment on gère le volume ?


Tout le monde se rend bien compte qu'une flûte traversière ou un violoncelle ne fait pas le poids face à une trompette au niveau volume. Surtout quand c'est joué fortissimo.

Tout le monde a en tête aussi que l'orchestre symphonique, Mozart, et bien d'autres compositeurs, existaient avant l'avènement de l'électricité. Donc pas de montage de volume au mix pour faire sonner.

C'est pas amplifié les concerts de classique.


C'est donc le placement autour du chef d'orchestre et le nombre d'instruments par pupitre qui va faire le mixage, à la fois dans l'espace et dans l'équilibre sonore (pan et volume).



D'ailleurs en enregistrement symphonique, la principale source de micros reste le DECCA TREE qui est un arbre positionné au dessus du chef pour récupérer l'équilibre naturel de l'orchestre.



Oui mais moi, comment je fais avec mon clavier ?


Ben d'abord, faut connaitre un peu les rapports de volume entre pupitres.

En gros, dans un orchestre de bonne facture on trouve :


Les cordes :

16 1er violons = 14 2eme violons = 12 altos = 10 violoncelles = 8 contrebasses,

le tout pouvant être divisé par 2 (dans le style Mozart par exemple) ;


Ensuite les bois :

qui peuvent être 2 à 7 fois plus puissants que les cordes selon les instruments et les registres, donc c'est très variable, mais par rapport au nombre des cordes précédemment ;

1 flute piccolo = 2/4 flutes traversières = 2/4 hautbois = 1 cor anglais = 1 clarinette en mib = 2/4 clarinettes en sib = 1 clarinette basse = 2/4 bassons = 1 contrebasson ;


Enfin les cuivres : un peu plus en arrière ;

(6/7 fois plus forts que les cordes en moyenne, 15 fois plus fort pour la trompette en aigu)

2/4 trompettes = 2/8 cors d'harmonie = 2/4 trombones = 1 trombone basse = 1/2 tubas


Les proportions s'ajustent selon le compositeur et la musique qu'il compte créer

ok !



Mes banques de sons sont groupées intelligemment avec un nombre d'instruments par pupitre,

je vais donc pouvoir faire mon kit orchestral avec les volumes correspondants entre eux.








Mais ça ne règle pas mon problème :

Revient la 1ère question:


Quelle note dois-je jouer pour chaque instrument pour faire sonner mon do majeur ?


Et oui, le problème majeur c'est que c'est pas des synthés ; des ondes électriques parfaitement calibrées.

Les instruments physiques sonnent différemment en volume, en intensité, en timbre, en expression, selon où ils sont joués, c'est-à-dire à quelle hauteur.

Le fait de savoir la tessiture d'un instrument, c'est-à-dire la note la plus basse et la plus haute possible, ne renseigne pas sur la plage la plus expressive.


Comme les chanteurs.




Mylène Farmer ou Michael Jackson auront du mal à donner de la puissance en dessous du A3 ou Garou au dessus du A4, même s'ils arrivent à chanter en deçà.


Alors ?


Alors pour comprendre une fois pour toute, sans y aller au hasard, faut connaître au moins 2 règles de physique.


1 ) D'abord l'oreille humaine


Entend de 20Hz à 20Khz pour un jeune éphèbe normalement constitué(e) qui n'a pris aucune substance depuis le berceau et qui s'endort pas avec Rammstein dans le casque chaque nuit.

Ce qui correspond sur un clavier à plus de 10 octaves, donc plus que toute sorte d'instrument fabriqué.

Normal, on ne fabrique pas des instruments à ultrasons pour ensuite ne pas les entendre.


Mais la plage la plus responsive, dans laquelle l'oreille reçoit le maximum d'informations se trouve entre les notes G3 et G5. Soit environ entre 392 et 1568 Hz.


Vous allez voir pourquoi c'est important comme info.


2 ) La 2ème règle, c'est le placement des harmoniques.


Même mon concierge sait que la différence entre un son de piano et un son de guitare, pour la même note jouée, réside uniquement dans le placement en volume des harmoniques du son.

Ah... Non... Il ne savait pas...


Le timbre d'un instrument réside, une fois l'onde porteuse émise à une fréquence donnée, à la superposition d'harmoniques qui résonnent, s'ajoutent ou se soustraient à l'onde principale.

Selon l'harmonique qui prend le dessus, le timbre sera différent.



En français, ça veut dire que quand je joue un do tenu sur un piano, je vais entendre dans le temps, ses harmoniques, calées mathématiquement depuis Pythagore dans des rapports d'intervalles fractionnés et parfaitement définis et répertoriés.

Harmoniques qui sont dans l'ordre de hauteur :


do tonique

puis

do octave

sol 12ème

do 2 octaves

mi 18ème

sol 20ème

sib 22ème


Après ça continue à l'infini, mais on n'entend plus ça c'est que pour la note do.



Si je veux faire mon accord de do majeur,


En rajoutant la note mi de mon accord, je vais avoir

mi tonique puis mi si mi sol# si ré



Et si je rajoute la note sol, pour finir mon accord parfait

sol tonique + sol ré sol si ré fa.



Pourquoi je vous bourre le mou avec ça ?


Parce que ça veut dire que plaquer un accord do mi sol tout simple, fait jaillir des notes fausses, qui ne sont pas dans l'accord.


Ici il s'agit du sib, si, ré, sol# et fa des harmoniques.



C'est faible vous me direz. Presque inaudible.


Oui si on fait tout au piano. Mais si on rajoute 18 instruments différents, chacun avec son timbre, à la même place, ça va finir par s'entendre.


Et la gravité du problème va s'accentuer selon la hauteur à laquelle on joue l'accord.


En fait tout va bien si on joue l'accord dans les aigüs.

Pourquoi ?

Parce que les harmoniques fausses seront en dehors de la plage maximale de perception de l'oreille.

Rappelez vous entre G3 et G5.



Par contre dans le grave, c'est la cata.

Les harmoniques redoutées vont se trouver en plein dans la plage max de perception, on va les entendre.



Ca, c'est l'explication scientifique.


Mozart ne connaissait pas les analyses de Fourier et les plages de fréquences.

Mais ce qu'il entendait, lui, c'est que quand je plaque un do majeur en C3 c'est joli, en C4 aussi, en C5 idem, mais en C2 moyen, et en C1 c'est pourri.


Moralité, si on veut faire sonner un accord, faut enlever les pâtés dans les basses.

(Scientifiquement, ça réduit les mauvaises harmoniques dans le spectre audible.)


C'est une piste. Mais on n'a pas fini.


Les notes choisies vont dépendre aussi de l'expression souhaitée en volume.


Exemple :

on s'accorde à dire dans les traités d'orchestration, que quand on joue un passage p ou pp

piano ou pianissimo, donc très doux, le volume des cors est égal au volume des bois.


Par exemple, si j'ai 4 cors 2 clarinettes 2 hautbois,

je peux écrire sol do mi sol pour les 4 cors, suivi au dessus de do mi pour les clarinettes et sol do pour les hautbois.

Chaque instrument a sa note, c'est joli.



Mais si je joue le passage en mf ou f mezzo forte ou forte, les cors deviennent trop forts,

ils vont bouffer le son des bois.

Faut que je dispose autrement, en gardant sol do mi sol pour les cors, mais do et mi pour les clarinettes DOUBLEES avec les hautbois, pour contrebalancer le volume.

Du coup faut rajouter des flûtes pour les 2 notes manquantes au dessus, sol do.



Evidemment je peux intervertir les notes entre les bois pour donner d'autres couleurs à l'harmonisation, tout en respectant l'équilibre du volume avec les cuivres.


On s'aperçoit par exemple que le hautbois a un son plus pénétrant que la flute, et que chaque instrument a une couleur qui lui est propre.


Ensuite on rajoute violoncelles, contrebasses et bassons en dessous des cors, maximum de 2 notes, tonique et octave voir quinte (rappelez vous le problème des harmoniques) et on garde les violons et altos pour une éventuelle mélodie au dessus.



Coton hein ?


Rajoutons encore une petite chose, un détail, sur la durée des notes.


Avec mon synthé de cuivres, je peux faire un accord de do, et le tenir sans bouger tout en regardant un épisode entier des "marseillais à Dubaï". A la fin de l'épisode, mon accord sera toujours impeccable.

Avec des vrais instruments à vent, généralement au bout de 2 ou 3 rondes, on va trouver un trou.

Sauf 2 ou 3 héros qui pousseront jusqu'à la 4ème ronde pointée avant d'être embarqués en réanimation par le SAMU.

Et oui, il faut respirer quelquefois entre les notes soufflées. C'est humain.


A part les joueurs de cornemuse et de Didgeridoo qui ont appris à respirer tout en soufflant,

les humains normaux doivent reprendre de l'air avant de recommencer à souffler.

(entrainez vous chez vous à souffler indéfiniment avec une paille dans un verre d'eau pour faire des bulles tout en essayant de respirer, c'est rigolo)


Votre écriture des notes en longueur doit donc tenir compte de ce détail en faisant respirer les joueurs pas tous en même temps pour éviter le trou.


Coton je vous dis !


Ca veut dire quoi en fait ?


Rien de nouveau. Les instruments virtuels mettent à notre portée une base réaliste d'éléments d'orchestre qu'il nous appartient d'harmoniser selon des règles à apprendre, dans des traités d'harmonie et d'orchestration, et en écoutant des pièces de maîtres en les analysant portée par portée.


On est loin de "Despacito" là !



C'est bien aussi, c'est autre chose.


Mais la bonne nouvelle, si on s'accroche à écrire les accords avec cette méthode, c'est qu'on arrive plus facilement à "ouvrir" ses accords, et à envisager d'écrire horizontalement, c'est-à-dire en pensant la musique comme une suite de mélodies superposées, et non en une suite de pâtés d'accords figés.


Et ça change tout.


Du coup, à tous les musiciens qui s'appellent Pessac, Médoc, Emilion, Sauternes, Margaux, Corton, Vougeot, etc.


Soyez attentifs.


Il se peut que suite à une erreur de commande de la part de John Williams ou Hans Zimmer sur le renouvellement de leur cave à vins, vous vous retrouviez à ABBEY ROAD face au London Symphonic.


Du coup, comme vous savez faire le do majeur, ben ya plus qu'à faire le reste...


Easy non ?


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